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Aborder le changement climatique d'un point de vue fiduciaire

Par Alison Schneider MBA, ICD.D, Encompass ESG Corporation
avril 25, 2024

Il y a plus de 16 000 régimes de retraite enregistrés au Canada, gérant 2,2 milliards de dollars d'actifs au nom de 6,7 millions de Canadiens. La manière dont les fiduciaires des régimes de retraite interprètent et appliquent les concepts fiduciaires est fondamentale pour informer leur vision du risque et de la valeur. Dans une décision de 2023, la Cour suprême du Canada a trouvé que « le changement climatique représente une menace existentielle. » Ainsi, le devoir de prudence (prudentia en latin, signifiant prévoyance) souligne l'importance de réaliser une analyse de scénario prospective ; tandis que le devoir de loyauté met en lumière le besoin de considérer le risque climatique à travers les générations et les horizons d'investissement. Pendant ce temps, l'année 2050, la limite que les scientifiques nous ont donnée pour atteindre les émissions nettes zéro (NZ) afin de maîtriser le réchauffement global, se rapproche.

Du point de vue du risque physique, 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée, avec 18,5 millions d'hectares brûlés au Canada seulement, causant 3 milliards de dollars de pertes non assurées. La recherche scientifique indique que de grands points de basculement climatiques sont en danger d'être franchis (Institut de Potsdam). Du point de vue du risque de transition, l'univers assurable se réduit, car de grands assureurs, y compris Allstate et State Farm, se retirent des marchés plus risqués comme la Californie. De nombreux pays, dont le Canada, ont adopté une tarification du carbone et des mécanismes politiques pour s'aligner sur leurs engagements NZ. Deux changements majeurs sont en cours : une transformation à l'échelle de l'économie à mesure que les industries se décarbonisent, et une transition énergétique, stimulée par une combinaison de politiques gouvernementales, de technologies émergentes et d'options de financement « vertes ». La loi américaine sur la réduction de l'inflation de 370 milliards de dollars américains avec son ensemble complet de crédits d'impôt, subventions et prêts préférentiels encourage les solutions d'énergie propre. La course aux émissions NZ nécessitera un investissement mondial annuel dans le secteur de l'énergie allant de 5 à 7 milliards de dollars américains par an, et pourtant moins de 2 milliards de dollars sont investis sur une base annuelle.

Ainsi, le paysage de l'investissement durable évolue d'une focalisation sur l'intégration des facteurs ESG matériels dans le processus d'investissement vers une concentration sur le risque et l'opportunité climatiques comme un impératif stratégique. Bien que le gouvernement du Canada mène sur certains fronts, comme l'émission de la première obligation verte du Canada d'une valeur de 5 milliards de dollars en 2023, plusieurs réglementations liées au climat proposées restent en attente. Celles-ci incluent l'Instrument National 51-107 (2021) qui exige une divulgation par les émetteurs sur les questions climatiques, la Taxonomie de Durabilité du Canada, (2023), qui définit les paramètres pour l'investissement « vert » et de « transition », et les réglementations sur le méthane (2023). Le Canada risque de prendre du retard, car notre « écart de mise en œuvre », ou la différence entre les engagements climatiques déclarés et les politiques promulguées, est évalué à 27 %, le plus élevé de tous les pays du G20.

Les fiduciaires ne devraient pas se laisser bercer dans la complaisance. Randy Bauslaugh déclare : « Les fiduciaires des fonds de pension ignorent à leurs risques et périls les risques financiers que le changement climatique pose aux investissements qu'ils ont le devoir de gérer », et trouve qu'ils peuvent être personnellement responsables pour manque de surveillance. En effet, les litiges sur le climat se multiplient. Il y a plus de 2 000 procès liés au climat enregistrés globalement dans les bases de données de procès climatiques, avec 80 % de ces derniers provenant des États-Unis. Les membres des régimes de retraite appellent à l'action pour protéger leurs économies de retraite. En contraste, dans certains cas de « contre-coup ESG », les membres sont préoccupés que le régime puisse compromettre les retours en poursuivant des stratégies « vertes ». Les fiduciaires devraient se préparer en conséquence. Carol Hansell, dans son avis juridique « Mettre le risque climatique sur la table du conseil d'administration », trouve que les membres du conseil sont légalement obligés de s'adresser au risque et aux opportunités climatiques. Janis Sarra trouve que les membres du conseil doivent aller « au-delà de la simple réception passive d'informations… » et établir un processus robuste pour vérifier les progrès du fonds sur le risque et l'opportunité climatiques.

Alors, que font et devraient faire les fiduciaires des régimes de retraite pour s'assurer qu'ils abordent de manière appropriée le risque et les opportunités climatiques dans leurs portefeuilles d'investissement ?

Effectuer un changement significatif dans un fonds de pension commence par la gouvernance. Les membres du conseil devraient rechercher une formation, afin qu'ils se sentent équipés pour faire face au risque climatique. La surveillance du climat par le conseil devrait se produire non seulement au niveau du conseil, mais aussi au sein des comités de gouvernance, de vérification et de risque. Le Cadre du groupe de travail sur les divulgations financières liées au climat (désormais absorbé par l’ISSB) est instructif. Les entités devraient aborder le climat à travers des catégories (gouvernance, stratégie, risque, métriques et objectifs) qui sont interdépendantes. Le conseil devrait s'attendre à ce que la gestion intègre le climat dans le processus d'investissement, fournisse un comptage complet des émissions financées par secteur et classe d'actifs, et réalise une analyse prospective pour identifier le risque climatique sous divers scénarios de réchauffement.

Les propriétaires d'actifs communiquent leurs objectifs et attentes d'investissement dans leur déclaration de politique d'investissement (DPI). Pourtant, une recherche en ligne des DPI disponibles publiquement des régimes de retraite canadiens trouve que la plupart ne mentionnent même pas le climat, ou le mentionnent simplement comme un facteur à considérer dans le processus d'investissement. Ce niveau d'hésitation est déroutant - les régimes de retraite ne considèrent-ils pas le climat comme un risque fondamental et matériel et une opportunité d'investissement correspondante ? En contraste, le DPI du régime de retraite municipal de la Colombie-Britannique (MPP) instruit spécifiquement BCI, son gestionnaire d'investissement, de rechercher des opportunités d'investissement liées au climat, y compris l'investissement jusqu'à 5 milliards de dollars en obligations durables d'ici 2025.

Le climat devrait figurer dans les croyances et stratégies d'investissement des fonds. Par exemple, le fond souhaite-t-il se désinvestir des actifs plus intensifs en carbone, ou « aller là où sont les émissions » et s'engager avec des actifs intensifs en CO2 pour les aider à se décarboniser ? L'Agence Internationale de l'Énergie postule qu'en 2030, le ratio cible devrait être d'investir 6:1 en faveur de l'approvisionnement en énergie propre par rapport aux combustibles fossiles avec un focus concomitant sur la transformation des industries critiques mais intensives en carbone, telles que le ciment et l'acier, vers des modèles d'affaires plus durables. Les principaux investisseurs adoptent des plans d'action climatique (ICAPs) avec des stratégies pour l'atténuation, l'adaptation et la résilience climatiques pour permettre la transition du fonds vers une économie NZ. L'ICAP peut servir à rassurer les bénéficiaires et les parties prenantes que le fonds est concentré sur la maximisation des retours ajustés au risque à long terme.

Carbon Tracker a récemment averti que les investisseurs pourraient être trop dépendants de modèles économiques qui sous-évaluent le risque climatique. Cependant, un fournisseur de données de premier plan, Oxford Economics, a mis à jour son évaluation des dommages et trouve qu'un réchauffement global de seulement 2,2 degrés centigrades, à peine au-dessus de l'objectif de l'Accord de Paris, pourrait réduire le PIB mondial jusqu'à 20 %. Leur réévaluation souligne la nécessité de revoir les hypothèses de pertes et de réaliser une évaluation de la valeur à risque pour tester la résilience du portefeuille.

Le revers de la médaille du risque est l'opportunité. En fin de compte, les fiduciaires des pensions doivent se demander s'ils sont adéquatement positionnés d'un point de vue de la diversification, du risque et du retour pour l'économie telle qu'elle évolue. Les investisseurs pourraient avoir besoin de revoir les tolérances au risque, les expositions aux marchés émergents et les nouvelles technologies telles que la capture du carbone pour obtenir des retours suffisants. Les fiduciaires devraient se demander si le fonds est suffisamment investi dans les « leviers » de l'économie mondiale émergente, tels que les éco-efficacités, l'énergie alternative, la technologie des batteries, les mises à niveau du réseau, les stations de recharge pour véhicules électriques, l'économie circulaire et l'agriculture régénérative. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat conseille que 80 % de l'approvisionnement énergétique mondial doivent être renouvelables d'ici 2050 pour maîtriser le réchauffement global.

Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) s'attend à ce que les risques climatiques s'intensifient avec le temps et entraînent des risques financiers, tels que les risques de crédit, de marché, d'assurance et de liquidité, menant à des risques stratégiques, opérationnels et de réputation. La directive B-15 du BSIF exige que 350 institutions financières fédéralement réglementées (IFRF) divulguent comment elles intègrent le climat dans leur gouvernance, stratégie d'investissement et processus de gestion des risques. Tous les régimes de retraite devraient prendre note, car ce niveau de rapport pourrait éventuellement être attendu comme courant.

Alors, comment les fonds canadiens sont-ils évalués sur le climat ?

En février, Shift Action a publié son évaluation de 11 des plus grands fonds de pension du Canada, représentant 2T $ d’actifs sous gestion. Tandis que le CDPQ et l'UPP se sont bien comportés, avec des notes globales de B+, Shift a attribué à 7 des fonds des notes médiocres de C à D. Les critères de Shift semblent prescriptifs. Il pénalise les fonds pour ne pas s'être désinvestis des combustibles fossiles. Pourtant, cela ignore l'économie réelle et l'impératif de transition, de rester investi dans des entreprises intensives en carbone qui s'engagent à pivoter vers un modèle d'affaires plus éco-efficace.

En effet, le Canada devrait être considéré comme un leader mondial sur l'engagement axé sur le climat. Engagement Climatique Canada (ECC) est le premier affilié national de Climate Action 100+, qui encourage les entreprises intensives en carbone à se décarboniser en alignement avec NZ d'ici 2050. Plus de 45 investisseurs canadiens et 41 émetteurs participent à l’ECC et à CA 100+. Collectivement, les investisseurs représentent une plus grande propriété et donc une influence sur l'entreprise. L’étalonnage du progrès des émetteurs tend à améliorer les résultats de l'engagement alignés sur une trajectoire de « gris à vert ».

Alors, quelles sont les principales conclusions ?

Les fonds de pension canadiens peuvent faire plus pour s'assurer qu'ils prennent en compte le risque climatique et devraient réexaminer leurs hypothèses. Le changement climatique n'est pas un risque incident à ajouter passivement à la liste des risques à intégrer dans le processus d'investissement, mais un risque fondamental et pressant. Interroger leurs gestionnaires d'investissement sur la stratégie climatique peut révéler de nouveaux aperçus sur des risques et des opportunités d'investissement non reconnus au fil du temps.

Les fiduciaires devraient communiquer avec leurs bénéficiaires sur les mesures qu'ils prennent pour aborder le risque et l'opportunité climatiques à travers le fonds. Tandis que les fiduciaires canadiens peuvent plaider pour l'approbation des réglementations liées au climat et la taxonomie, ils ne devraient pas attendre les réglementations pour prendre en compte le climat, conformément à une approche prudente.


Alison Schneider MBA, ICD.D, Encompass ESG Corporation

Anciennement vice-présidente de l'investissement responsable (IR) chez AIMCo (2011-22), Alison Schneider est actuellement Senior Fellow pour le GRESB, représentante canadienne du Ceres Investor Network, directrice de l'Emerging Markets Investor Alliance et consultante en durabilité. Alison est cofondatrice de GRESB Infrastructure (2015), le premier outil d'analyse comparative de la durabilité des infrastructures au monde, et de Climate Engagement Canada (2022).  Alison enseigne un micro-certificat sur le risque climatique pour la Canada Climate Law Initiative et un cours sur la finance durable pour le programme MBA de l'Université de l'Alberta. Elle est auteur et coauteur de The New Frontiers of Sovereign Investment (2017) et de Guidance on Fiduciary Duty (2018) de l'ICGN. Alison a reçu le prix Clean50 du Canada (2021, 2020) et le prix Alumni Honour de l'Université de l'Alberta (2022) pour ses contributions au domaine de l'IR.