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Avantage national ou préférence nationale : comment déterminer s’il faut investir au Canada ou à l’étranger?

Par Amir Musin, conseiller principal en investissement, TELUS Santé
novembre 26, 2024

Introduction

Il existe chez les investisseurs une tendance bien connue à favoriser les titres de leur propre pays par rapport aux équivalents étrangers au sein de leur portefeuille. Malgré certaines différences, cette tendance est présente parmi les types d’investisseurs, les catégories d’actifs et les diverses régions, ce qui en fait un véritable phénomène mondial. Communément appelée « préférence nationale », cette tendance a retenu l’attention au Canada cette année, comme en témoigne l’annonce du gouvernement, en avril, de la création d’un groupe de travail dirigé par Stephen Poloz (ancien gouverneur de la Banque du Canada) afin d’explorer des façons d’inciter les régimes de retraite canadiens à investir au Canada. 

La tendance à long terme à réduire la pondération des titres canadiens dans le portefeuille des régimes de retraite et des investisseurs canadiens est préoccupante. Ainsi :

  • la proportion des actions canadiennes en pourcentage des placements composant un portefeuille a diminué, passant de près de 28 % en 2000 à environ 4 % en 2022i, selon l’Association canadienne des gestionnaires de caisses de retraite; 
  • lors de l’examen des placements en actions de tous les types d’investisseurs, Vanguard a observé que la proportion en actions canadiennes au sein des portefeuilles canadiens a diminué, passant de 67 % en 2012 à 50 % en 2023ii
  • une réduction moins radicale, mais tout de même notable, est également observée pour les titres à revenu fixe, les régimes de retraite canadiens ayant réduit leurs avoirs nationaux en les faisant passer de 96 % en 2013 à 88 %iii du total de leurs placements dans des titres à revenu fixe.

Sans égard à cette tendance, il est intéressant de constater que ces pondérations sont bien au-dessus de ce que préconiserait une approche de répartition uniquement fondée sur le marché. D’après une étude réalisée par le Global Risk Institute, les régimes de retraite canadiens avaient une surpondération en actions nationales six fois plus élevée par rapport à celle d’un portefeuille de titres mondiaux visant à maximiser les gains selon une diversification mondialeiii. Il reste à savoir si cette surpondération découle d’un avantage inhérent à l’investissement au Canada pour les régimes de retraite et les investisseurs canadiens ou plutôt d’une habitude prise par le passé, alors que les placements étrangers comportaient de nombreux défis, comme la règle sur l’investissement étranger à l’égard des régimes de retraite canadiens, abolie en 2005. Autrement dit, les données dénotent-elles un avantage national ou plutôt une préférence nationale?

Comme pour toute question relative à la répartition d’un portefeuille, la réponse dépend en grande partie de la situation de chaque investisseur. Toutefois, il s’agit d’une question importante à laquelle les régimes de retraite canadiens devraient tenter de répondre. Pour les aider dans ce processus, nous présentons les arguments qui sont en faveur et en défaveur de l’investissement national pour diverses catégories d’actifs, en particulier du point de vue des régimes de retraite canadiens. 

Arguments en faveur de la préférence nationale

Couverture du passif

Sans aucun doute, la principale raison pour laquelle les régimes de retraite canadiens (et d’autres investisseurs institutionnels ayant des passifs évalués à la valeur de marché) investissent au Canada est le besoin de couvrir le risque d’une augmentation de la valeur du passif libellé en monnaie locale étant attribuable aux fluctuations du marché, p. ex. des taux d’intérêt, de l’inflation et des écarts de crédit. Il en est ainsi surtout pour les placements dans des obligations émises par le pays local, dont la valeur est directement liée aux fluctuations des taux d’intérêt et des écarts de crédit locaux, ainsi que pour les obligations à rendement réel, qui sont touchées par l’inflation. En outre, les placements dans les infrastructures et l’immobilier canadiens servent souvent de couverture nationale de substitution à l’égard des fluctuations à long terme de l’inflation. Bien que ce raisonnement soit beaucoup moins pertinent pour les actions, le nombre élevé d’entreprises productrices de produits de base au sein du marché boursier canadien donne lieu à une certaine exposition à l’inflation, à l’échelle nationale ou mondiale, ce qui peut justifier une telle stratégie. 

Avantages fiscaux

Les régimes de retraite canadiens n’ont pas à payer d’impôt sur les rendements de leurs placements nationaux, tandis que les rendements des placements étrangers peuvent être assujettis à des retenues d’impôt considérables. L’incidence fiscale peut varier d’un pays à l’autre et en fonction des diverses conventions fiscales conclues entre le Canada et d’autres pays. Ainsi, pour deux placements identiques sur le plan du risque et des rendements, le placement au Canada pourrait être plus avantageux que le placement étranger, une fois l’incidence fiscale prise en compte. 

Risque de change et coûts de transaction

Les placements étrangers sont souvent dans une monnaie autre que le dollar canadien. Puisque les investisseurs canadiens évaluent leurs placements en dollars canadiens, ceux-ci sont alors exposés au risque que la monnaie étrangère se déprécie par rapport au dollar canadien. Il est possible de couvrir ce risque dans une certaine mesure; toutefois : 

  • il est impossible de l’éliminer complètement, surtout si le rendement du placement est incertain, comme dans le cas des actions, puisque la valeur qui devra être convertie dans l’avenir (c.-à-d. couverte) doit être établie avant de connaître la valeur réelle ultime (c.-à-d. lorsque les rendements et les pertes seront connus); 
  • le risque du placement peut s’en trouver accru, si le rendement du placement est corrélé négativement avec les taux de change; 
  • cette stratégie entraîne des coûts, notamment des frais et des écarts acheteur-vendeur, qui peuvent être importants pour les appariements avec des devises moins liquides et plus volatiles.

Les investisseurs peuvent toujours décider de ne pas couvrir leur placement, ce qui n’est pas une mauvaise approche pour les placements à long terme dont les rendements prévus sont bien supérieurs aux désavantages pouvant découler du risque de change. Toutefois, la couverture du change n’élimine pas entièrement les coûts supplémentaires qui accompagnent les placements étrangers, notamment les frais de courtage plus élevés ainsi que divers frais administratifs et liés à la conformité. Ces coûts peuvent être particulièrement élevés pour les placements dans des économies moins développées. 

Avantage informationnel

Un autre avantage de l’investissement national qui est moins percutant, mais souvent mentionné, est l’avantage informationnel qu’ont les investisseurs dans leur propre pays. La connaissance des tendances locales, la capacité de rencontrer la direction des entreprises, la méconnaissance de la langue et de la culture et même le décalage horaire peuvent avoir une incidence sur un placement au fil du temps. 

Arguments en défaveur de la préférence nationale

Il existe de nombreuses raisons de réduire la pondération en titres nationaux, qui se résument essentiellement à ceci : possibilité de meilleurs rendements ajustés en fonction du risque. 

Avantage de la diversification

L’argument le plus puissant en faveur d’une plus grande pondération en placements étrangers est de loin la diversification des risques sous-jacents. La diversification est la seule réelle « gratuité » en matière de placements, car elle donne accès à des options plus riches et d’une plus grande envergure. Il en est ainsi tout particulièrement pour les pays dont l’économie est lourdement concentrée dans certains secteurs d’activité et certaines entreprises. De toute évidence, le Canada en fait partie. Par exemple, à la fin d’avril 2024, certaines des caractéristiques de l’indice canadien S&P-TSX par rapport à l’indice MSCI Monde étaient les suivantes : 

Il existe un autre risque lié à l’investissement au Canada, qui est souvent oublié et dont les régimes de retraite devraient tenir compte : la provenance des capitaux de placement, c.-à-d. les cotisations aux régimes. Une perturbation importante de l’économie nationale pourrait non seulement faire diminuer la valeur des actifs assujettis aux risques, mais également affecter la capacité des promoteurs de régimes et des employés à verser des cotisations aux régimes. Ce risque est encore plus grand pour les régimes sous-capitalisés et ceux qui comportent une part importante de participants actifs ou dont l’obligation du promoteur est minime. 

Rendements potentiels plus élevés 

En ce qui a trait aux rendements, une pondération plus élevée en placements étrangers offre la possibilité de rendements absolus plus élevés. En théorie, puisque le Canada est un pays développé, il est peu probable que son économie croisse aussi rapidement que celle de pays en développement. En outre, la concentration dans un petit nombre de secteurs d’activité restreint les sources de croissance économique possible. La croissance explosive du secteur des technologies et des titres de ces entreprises ailleurs qu’au Canada au cours des dernières années illustre bien cette situation. 

Quelles sont les prochaines étapes?

La répartition optimale favorisant le Canada par rapport à d’autres pays dépend de la situation, du point de vue et des objectifs de l’investisseur. Il sera judicieux pour les investisseurs d’examiner leur portefeuille actuel et de comprendre l’incidence des facteurs susmentionnés. Lorsqu’il y a surpondération en titres canadiens, les investisseurs doivent alors se poser la question suivante : dans quelle mesure seraient-ils à l’aise de surpondérer un autre pays de la même façon?




i Lord, C., & Atkin, D. (2024, March 16). Pension funds are Canada’s ‘crown jewels.’ Should they invest more at home? Retrieved from Global News: https://globalnews.ca/news/10357187/budget-2024-canada-pension-funds-domestic-investment/ 

ii Vanguard. (2024, June). Canadians reducing home bias, eh? Retrieved from Vanguard: https://www.vanguard.ca/content/dam/intl/americas/canada/en/documents/HOBI_052024_infographic_V5.pdf 

iii Ambachtsheer, K., Betermier, S., & Flynn, C. (2024, June 9). Should Canada Require Its Pension Funds to Invest More Domestically? Retrieved from Global Risk Institute: https://globalriskinstitute.org/publication/should-canada-require-its-pension-funds-to-invest-more-domestically/

iv Dewan, A. (2024, June). Canadian Home Bias. Retrieved from Vanguard: https://www.vanguard.ca/content/dam/intl/americas/canada/en/documents/CHBP_062023_V8_secure.pdf


Au cours des dernières décennies, nos solutions en matière de rémunération, retraite et d’avantages sociaux ont contribué à la santé financière de milliers d’organisations et à celle de leurs employés. Grâce à la force unifiée de TELUS Santé, nos équipes chevronnées mettent tout en œuvre pour fournir des solutions novatrices, durables et flexibles qui répondent aux besoins en matière de rémunération, retraite et d’avantages sociaux des clients de partout en Amérique du Nord. https://go.telushealth.com/fr-ca/des-services-de-consultation-personnalis%C3%A9s

Amir Musin, conseiller principal en investissement, TELUS Health

Amir travaille dans le secteur financier depuis 14 ans, se concentrant sur tous les aspects de la gestion de portefeuilles institutionnels. Il a débuté sa carrière au sein du service de conseil en investissement de KPMG à Londres, au Royaume-Uni, où il était le gestionnaire de portefeuille de facto pour des régimes de retraite allant de 50 millions de dollars à 3 milliards de dollars d'actifs, ainsi que le chef adjoint de l'équipe de recherche qui couvrait les stratégies de crédit à l'échelle mondiale. À ce titre, il est à l'origine de plusieurs travaux de recherche sur des opportunités d'investissement tactique, allant de la dette immobilière commerciale aux CLO de qualité. Plus récemment, Amir a rejoint le cabinet de conseil en santé TELUS à Vancouver, en Colombie-Britannique, en tant que conseiller principal en investissement auprès de régimes de retraite, de fondations, de fiducies des Premières nations et d'autres investisseurs institutionnels. Amir a obtenu une maîtrise en sciences de la London School of Economics and Political Science en 2008 et est titulaire du titre de CFA depuis 2015.