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Et T+1 fut!

Par Keith Evans, Executive Director, CCMA

Pour la majorité des gens, la plomberie du secteur de l’investissement — à savoir le processus d’achat, de vente et de règlement ou de paiement des titres à travers les fuseaux horaires — est fastidieuse. À l’instar de la plomberie résidentielle, les services de traitement des titres sont invisibles et inaperçus… sauf quand un problème émerge.  

Si la canalisation bouchée d’un voisin ne vous touche pas, les problèmes post-marché des capitaux risquent facilement de toucher des milliers de contreparties interconnectées de façon complexe, notamment les administrateurs de régimes de retraite. En 2017, le Canada, les États-Unis et d’autres pays ont réduit le délai standard de règlement des opérations sur titres de créance, actions, produits dérivés et fonds — raccourci pour l’échange simultané de titres contre paiement après une opération — de trois jours après une opération (T+3) à T+2.

Les Amériques sont entrées dans la danse T+2 plus tard, par l’adoption du règlement bilatéral plusieurs années après l’Europe et un certain nombre de pays développés. Aujourd’hui, les États-Unis insistent pour un cycle de règlement à un jour — le jour suivant la date de transaction ou T+1. Si le passage à T+2 il y a cinq ans et le passage à T+1 envisagé pour 2024 exigent de gagner 24 heures sur les délais de traitement, le passage à T+1 représente un défi notable et plus difficile à relever pour les systèmes et les opérations. Une tâche d’autant plus laborieuse que les marchés européens et étrangers ne sont pas près de passer à T+1 et que les gestionnaires de portefeuilles, d’actifs et de fonds ne verront sans doute pas d’avantages concrets avant un certain temps (à moins d’un coup de semonce, comme une perturbation massive de la compensation et du règlement).

Alors, pourquoi passer à T+1? 

L’agonie du changement prime parfois sur la douleur du statu quo.  Voici les deux principales raisons pour lesquelles les marchés financiers canadiens devraient passer à T+1 :

1.  Tandis que les régimes de retraite du Canada sont parmi les plus importants et les plus respectés au monde, les marchés financiers américains n’ont rien à leur envier; ainsi, nos voisins américains mènent la barque. Les leaders de l’industrie américaine de l’investissement soulignent les économies nettes de coûts d’efficacité au fil du temps, en raison de l’automatisation supplémentaire nécessaire pour atteindre T+1, les économies de garanties connexes pour les courtiers en valeurs mobilières, et les avantages pour toutes les parties de la réduction d’une journée du risque de contrepartie. Les investisseurs recevront leurs titres ou leur argent plus rapidement (mais devront céder des titres et des espèces plus tôt, s’ils vendent). Bien que l’intérêt pour un cycle de règlement plus court se soit manifesté récemment aux États-Unis pour des raisons de structure de marché généralement absentes au Canada, historiquement les intervenants du marché canadien ont unanimement convenu que les risques de concurrence et de coûts de ne pas s’aligner aux pratiques de règlement américaines sont considérables à comparer aux risques liés à la collaboration avec les États-Unis sur le même cycle de règlement[1]. Cependant, les administrateurs de régimes de retraite canadiens et plusieurs autres intervenants sur les marchés de capitaux canadiens investissent aussi amplement sur les marchés européens et autres, dont découlera un décalage de dates de règlement et un enjeu de financement. Comment résoudre cette dichotomie? Les organismes de réglementation des valeurs mobilières du Canada ont déclaré, à propos des efforts antérieurs visant à supprimer un jour du cycle : « Nous appuyons fermement la nécessité pour l’industrie canadienne de migrer [vers] T+2 selon le même échéancier que les États-Unis. » Même chose pour le passage à T+1. Pourquoi? En raison des titres canadiens et américains intercotés et du désir d’éviter l’arbitrage. Le nombre de titres cotés sur les bourses canadiennes et américaines est certes faible, mais il englobe les titres de premier ordre les plus populaires des plus grandes sociétés internationales. Les 235 actions cotées au Canada et aux États-Unis simultanément présentaient un volume d’échange moyen de 700 millions d’actions quotidiennement (juillet 2022), dont plus de 437 millions au sud de la frontière et 263 millions au nord — reflétant en moyenne une répartition d’intercotation de 60 % pour les États-Unis et de 40 % pour le Canada. 

2.  Dans l’hypothèse que les États-Unis passent à T+1 comme prévu, tous les participants du secteur canadien de l’investissement seront touchés, qu’ils le veuillent ou non. Ils devront soit passer à un cycle de règlement T+1 avec les États-Unis, soit s’adapter à un environnement où les cycles canadiens et américains diffèrent. D’une manière ou d’une autre, les gestionnaires de fonds de pension et de fonds de retraite devront procéder à des changements, à tout le moins pour demeurer au cycle T+2… c’est-à-dire à moins que les participants aux marchés de capitaux, dont les fonds de pension (et les organismes de réglementation canadiens) ne soient prêts à accepter un nombre supérieur d’échecs de transactions avec les coûts amenés en dollars, en occasions et en réputation. La plupart des organisations s’attendront à un plus faible coût de préparation au passage des deux marchés à T+1 par rapport au coût de la préparation à ne pas s’aligner sur les États-Unis à T+1, car ceux qui demeureront à T+2 seront tout de même appelés à s’ajuster et à gérer les échanges avec les États-Unis. 

T+1 compare T+2

Pire encore, la transition pour la plupart des sociétés sera plus ardue qu’à T+2 (consulter l’encadré, résultats de l’enquête de l’été 2022[2]), en l’absence de jour supplémentaire pour apporter les corrections commerciales et procéder à tous les détails invisibles du fonctionnement harmonieux de la plomberie. Si certains intervenants sectoriels trouvent la conversion plutôt simple et bénéficient d’avantages immédiats, la majorité y observera un effort important, avec des avantages plus longs à se manifester et plus difficiles à mesurer. Mais la conversion évitera les risques à long terme, les complexités et les coûts liés à un calendrier qui diffère de notre principal partenaire commercial. Et on peut attendre que les marchés européens et autres s’alignent sur les États-Unis — à savoir quand.

Quels sont les plus grands défis? 

Les membres de l’ACARR soulignent deux grands domaines d’incidence :

1.    Gestion de portefeuille :

  • Les cycles de règlement mal alignés avec les juridictions étrangères occasionneront des problèmes de financement.
  • Le préfinancement ou l’obtention de crédit pour couvrir les disparités entraînera des coûts supplémentaires, surtout lors de la transition et de la hausse des taux d’intérêt.

Ce que cela signifie :  Les gestionnaires de fonds de pension et autres fonds de placement doivent analyser et déterminer le traitement des pratiques de gestion de trésorerie et les répercussions de processus.

 2.    Opérations :  

  • Moins de temps pour aviser les sous-conseillers et recevoir les corrections dans des fuseaux horaires différents.
  • Moins de temps pour instruire les mouvements de change, aggravés par les cycles de règlement divergents des titres standard (T+1) et des devises étrangères (T+2).
  • Moins de temps pour les rappels de titres dans le cadre de programmes de prêt de titres. 

Ce que cela signifie :   Attendez-vous à une tension supplémentaire pour confirmer/apparier les détails des transactions à T, et pour corriger les erreurs à T ou très tôt à T+1 — actuellement, en vertu de la Norme canadienne 24-101 sur l’appariement et le règlement des opérations institutionnelles, 90 % des transactions doivent être et sont appariées avant midi à T+1, mais 40 % seulement le sont à la fin de T. Dans un environnement T+1, 90 % devront être appariées avant 16 h HE à T+1. Les gestionnaires de fonds de retraite et autres fonds de placement doivent travailler avec les dépositaires et les courtiers pour définir et comprendre les processus actuels en amont et en aval afin d’identifier les étapes à éliminer ou à accélérer. 

Une quantité d’autres problèmes surgissent : par exemple, la rétention du personnel qualifié, car la demande post-pandémique de personnel opérationnel et technique de qualité rend l’embauche de plus en plus difficile.

Comment?   

N’ayez crainte, un soutien sera disponible. Le passage à T+1 se fera similairement au passage à T+2 de 2015-2017. L’Association canadienne des marchés des capitaux (ACMC), groupe multisectoriel comprenant des courtiers, des gestionnaires de placements et des dépositaires, des infrastructures de valeurs mobilières (bourses, La Caisse canadienne de dépôt de valeurs (CDS)), des fournisseurs de services post-marché et d’autres intervenants, coordonne à nouveau les nombreux éléments mobiles.  Les outils élaborés par l’ACMC pour le passage du marché canadien de T+3 à T+2, notamment l’analyse et les recommandations contenues dans le Rapport de bilan du projet T+2 de 2018 de l’ACMC, sont mis à jour présentement.  Le guide T+1 Securities Industry Settlement Implementation Playbook aux États-Unis est utile. Les associations sectorielles, les bureaux de service, les fournisseurs et autres contribueront à faciliter le processus. Les comités T+1 de l’ACMC, ouverts à tous les intervenants du secteur, travaillent et accueillent de nouveaux membres.

En outre, un accord existe déjà sur les changements nécessaires dans l’entrée des transactions ainsi que le calendrier d’appariement pour répondre à T+1.   De plus, il existe un accord sur une liste d’actifs T+1 identifiant les titres qui passeront à T+1 (avis : presque tout ce qui se trouve actuellement sur le cycle de règlement standard T+2 passera à T+1). Cependant, la question de savoir si les fonds communs de placement, les fonds distincts et les fonds d’investissement des travailleurs (FIT) conventionnels passeront de T+2 à T+1 (et le cas échéant, quel pourcentage de ces fonds) est toujours à l’étude. Contrairement aux titres de créance, aux actions et aux produits dérivés, ces types de fonds n’ont pas de concurrence transfrontalière.

Un effort coordonné de tous les segments de l’industrie s’avère indispensable pour réaliser les exigences  : changements de systèmes, d’opérations et de comportements pour déplacer l’activité qui a lieu maintenant principalement le matin du T+1 — entrer les données, assigner les blocs de transactions et confirmer les détails de la transaction — avant minuit le jour de la transaction et pour régler en monnaie locale tandis que la pratique de règlement des opérations de change mondiales et les cycles de règlement des titres standard des marchés européens et des autres principaux marchés demeurent à T+2.

Quand? 

Voilà la question et, oui, c’est là que le bât blesse. La règle T+1 proposée par la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC) stipule que la conformité est exigée pour la fin du premier trimestre 2024. Les plus grandes associations sectorielles aux États-Unis, à l’instar de l’ACMC, insistent pour la fin de semaine de la fête du Travail de 2024, une période moins risquée et qui dure trois jours. Qu’arrivera-t-il lorsqu’une force irrésistible (la SEC) rencontre un objet qui se déplace parfois lentement (les post-marchés sectoriels)? Le mieux que nous pouvons suggérer est ce vieil adage : prévoyez le pire (31 mars 2024) et espérez le meilleur (T3 2024). 

Comment en savoir plus? 

Plusieurs nouvelles, comme les modifications proposées aux règles canadiennes en matière de valeurs mobilières, seront rendues publiques d’ici la fin de l’année. Suivez l’ACMC sur LinkedIn et visitez le site Web de l’ACMC à www.ccma-acmc.ca pour de plus amples renseignements ou pour prendre part à un comité de l’ACMC.  Pour vous inscrire à un comité ou à l’infolettre T+1 de l’ACMC, écrivez à [email protected]

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[1] Consulter l’étude de novembre 2000 de Charles River & Associates, The Economic Case for Canada to Move to T+1

[2] Sondage de sensibilisation de l’ACMC au T+1, juin-juillet 2022, 104 réponses incluant 34 réponses (33 %) s’identifiant côté vendeur. L’objectif de l’enquête visait à déterminer le niveau de connaissance et de préparation de leur organisation en matière de T+1, à établir une base de référence pour mesurer les progrès du secteur et à aider à planifier les efforts canadiens en vue de T+1.


Keith Evans

Keith Evans, Directeur général, ACMC

Le 15 juillet 2015, le conseil d'administration de l'Association canadienne des marchés des capitaux, a annoncé la nomination de Keith Evans au poste de directeur exécutif de l'Association canadienne des marchés des capitaux (ACMC).  M. Evans représente l'ACMC dans la coordination des initiatives approuvées par le conseil d'administration de l'ACMC.

M. Evans est un cadre supérieur des opérations dans l'industrie des services financiers, avec une vaste expérience de la compensation et du règlement, des actions d'entreprise et de la gestion de projet. Il a travaillé pour La Caisse canadienne de dépôt de valeurs limitée (CDS) pendant 36 ans, plus récemment en tant que directeur exécutif des opérations. Il y était responsable des opérations quotidiennes et de la stratégie de la société nationale de dépôt et de compensation du Canada.

M. Evans a dirigé la transition du secteur financier canadien de T+3 à T+2, qui a été mise en œuvre avec succès à l'automne 2017.  Depuis, il travaille avec les participants du secteur pour soutenir la modernisation des systèmes de la CDS pour la compensation et le règlement, ainsi que pour le traitement des droits et privilèges et des opérations sur titres.  Il dirige désormais également la coordination intersectorielle et transfrontalière des efforts du Canada en matière de T+1.