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Examen de la crise liée à l’IGP au Royaume-Uni - Leçons tirées de l’expérience au Royaume-Uni et au Canada
Il y a un an et demi ce mois-ci, le Royaume-Uni a connu une grave crise politique et financière axée sur les régimes de retraite et les rendements des obligations d’État.
À cette époque, le gouvernement a alors annoncé un plan de relance budgétaire surprise consistant en une réduction des impôts et un gel des factures d’électricité. Ce plan d’action a été lancé au moment où la Banque d’Angleterre s’apprêtait à entamer un resserrement quantitatif pour lutter contre l’inflation galopante, mettant ainsi en opposition la politique de la banque centrale et celle du gouvernement, ce qui a fait grimper en flèche les rendements des obligations d’État britanniques.
Cette situation a provoqué une crise pour de nombreux régimes de retraite à prestations déterminées (« RPD ») du Royaume-Uni. Comme de nombreux RPD ont été fermés et arrivaient à échéance, de plus en plus de promoteurs de régimes ont adopté une approche d’investissement guidé par le passif (IGP) et ont modifié leur répartition des actifs, délaissant les actions au profit des titres à revenu fixe.1
À ce stade-ci, il est utile de faire la distinction entre IGP « simple » et IGP à effet de levier. L’avantage d’adopter une approche d’IGP réside dans sa capacité à réduire le risque d’un régime puisque les actifs de placement correspondent davantage au profil passif du régime. Toutefois, étant donné qu’une approche d’IGP se traduit habituellement par une répartition plus élevée en actifs à revenu fixe (souvent des obligations d’État) plutôt qu’en actifs « de rendement », les rendements prévus du régime sont moindres, ce qui pose un défi pour les régimes sous-financés.
Avec l’accord de l’organisme de réglementation du Royaume-Uni, de nombreux régimes du Royaume-Uni ont résolu ce problème en adoptant une approche d’IGP à effet de levier. Ils ont d’abord investi de l’argent dans des obligations d’État pour correspondre au profil de passif. Toutefois, ils ont ensuite mis en gage leurs positions obligataires pour réunir des liquidités et investir ensuite dans des actifs de rendement comme des actions, des biens immobiliers et des fonds de rendement absolu. Aux termes d’un tel arrangement, le régime emprunte de l’argent pour acheter des actifs qui ne correspondent pas aux passifs, en espérant que les gains augmenteront plus que la valeur des passifs. Bien que cette approche puisse combler l’écart de financement, elle est plus risquée pour les participants au régime.
Cette hausse soudaine et spectaculaire du rendement des obligations d’État du Royaume-Uni à la fin de 2022 a créé un cycle vicieux pour de nombreux régimes ayant recours à une approche d’IGP à effet de levier. Des rendements obligataires plus élevés signifient une baisse des cours des obligations, de sorte que ces régimes ont reçu des appels de marge de la part de leurs fournisseurs d’effet de levier et ils ont dû vendre des actifs liquides admissibles, soit des obligations d’État du Royaume-Uni. Cette pression à la vente a fait grimper les rendements, obligeant les régimes à vendre un plus grand nombre d’obligations, et ultimement, accélérant la chute des cours.
Une solution à court terme ayant des répercussions à long terme
Cette agitation sur le marché des obligations d’État a finalement poussé la Banque d’Angleterre à « suspendre » sa politique de resserrement quantitatif fin septembre 2022 et à commencer plutôt à procéder à des achats d’obligations d’État à des fins de stabilité financière. L’objectif était de rompre le cycle de chutes des cours des obligations et de permettre aux fonds d’IGP d’accroître leurs positions en capital. Cette politique a fonctionné comme prévu. En effet, la Banque d’Angleterre a réussi à dénouer tous ses achats d’obligations en janvier 2023.
Les organismes de réglementation et le Trésor du Royaume-Uni tentent toujours de trouver des moyens d’empêcher qu’une telle situation se reproduise par voie d’une enquête parlementaire en cours. Une chose est sûre, la surveillance réglementaire des régimes de retraite est désormais renforcée. Étant donné que les régimes de retraite à prestations déterminées ne sont pas des institutions de dépôt, ils n’ont jamais été assujettis à la réglementation au même titre que les banques. Toutefois, compte tenu de la nécessité pour la Banque d’Angleterre d’intervenir, il est clair que ces institutions financières non bancaires posent un certain risque systémique au système financier en raison du recours à l’effet de levier. Lorsqu’on a recours à l’effet de levier, il est également essentiel de bien gérer les liquidités, surtout lorsque les positions sont fortement concentrées, ce qui exacerbe le risque. Désormais, les organismes de réglementation devront faire preuve de plus de transparence et de surveillance dans la gestion de l’effet de levier et des liquidités.
Il faudra jumeler un examen plus poussé de la part des autorités de réglementation à des simulations de crise plus approfondies. Avant la crise, le comité de la politique financière de la Banque d’Angleterre avait effectué une simulation de crise pour les régimes de retraite à prestations déterminées, mais le scénario de crise était établi comme un choc de taux d’intérêt de plus de 100 pb. Concrètement, la simulation de crise s’est avérée inadéquate, car les taux d’intérêt ont beaucoup augmenté en septembre 2022. Les directives réglementaires ont déjà été mises à jour, de sorte que les régimes de retraite à prestations déterminées qui utilisent des IGP doivent maintenant résister à une hausse de 2,5 % du rendement des obligations d’État. Nous nous attendons à ce que d’autres simulations de crise soient effectuées par l’organisme de réglementation pour évaluer la résilience du secteur aux chocs imprévus.
Outre les mesures réglementaires, le marché s’est rapidement adapté après la crise liée aux IGP dans quelques domaines importants. Après la crise, de nombreux fournisseurs d’effet de levier ont élargi la liste des garanties admissibles pouvant être fournies pour obtenir un effet de levier. Généralement, cela signifiait que les obligations de sociétés de qualité supérieure et les obligations d’État non libellées en livre sterling étaient des titres admissibles. Cette crise est partiellement due au fait que les options des régimes étaient limitées lorsqu’il fallait augmenter la liquidité pour répondre aux appels de marge, ce qui a également limité les choix des promoteurs de régimes pendant la période de crise. De manière anecdotique, nous comprenons également que de nombreux promoteurs de régimes ont augmenté les réserves de liquidités minimales et ont cherché à réduire l’effet de levier au niveau du portefeuille, tandis que les régimes de plus petite taille ont réduit complètement l’IGP à effet de levier. Cette réaction des régimes réduira également l’effet de levier et le risque de façon générale au sein du secteur.
Les régimes canadiens sont-ils à risque ?
Les stratégies d’IGP sont de plus en plus utilisées au Canada comme partout ailleurs dans le monde, mais il est important de faire la différence entre l’IGP (qui réduit les risques) et l’IGP à effet de levier (qui peut accroître les risques). La bonne nouvelle c’est qu’au Canada, les stratégies d’IGP à effet de levier sont moins courantes qu’au Royaume-Uni. Plusieurs raisons expliquent cela. En moyenne, les régimes canadiens ont toujours été mieux financés que les régimes du Royaume-Uni, ce qui signifie que les promoteurs de régimes ont moins besoin de recourir à l’effet de levier pour combler l’écart de financement.
Les régimes canadiens sont également devenus plus sensibles au passif au fil du temps, mais sans pour autant adopter complètement une approche d’IGP. Par conséquent, les régimes canadiens ont une pondération beaucoup plus faible en obligations d’État que les régimes du Royaume-Uni. Ils ne ressentent donc pas le même besoin d’accroître le risque dans leurs portefeuilles par voie d’effet de levier, contrairement à leurs homologues britanniques.
Lorsqu’une approche d’IGP à effet de levier est utilisée au Canada, elle est généralement utilisée par des « méga » régimes qui ont de grandes équipes de placement et de gestion des risques et une compréhension approfondie de la gestion des risques et de la liquidité. En revanche, l’IGP à effet de levier était employée au Royaume‐Uni par des régimes à prestations déterminées de toutes tailles. Cela ne veut pas dire que ces très gros régimes ne peuvent pas faire de faux pas. Toutefois, ils sont, à notre avis, généralement mieux placés pour analyser et comprendre la panoplie de risques auxquels font face leurs portefeuilles.
Leçons tirées pour le Canada
Bien que nous ne nous attendions pas à une crise liée à l’IGP de ce type au Canada, l’expérience du Royaume-Uni a eu une incidence sur les mesures et les approches des régimes à prestations déterminées canadiens. Du point de vue de la gouvernance, l’utilisation de l’effet de levier dans les régimes et les freins et contrepoids en place ont fait l’objet d’une surveillance et de communications d’informations accrues. Tout comme les simulations de crise réglementaires sont devenues plus restrictives au Royaume-Uni, nous comprenons que les régimes canadiens effectuent eux aussi des simulations de crise supplémentaires pour tenir compte du fait que les taux d’intérêt à long terme peuvent être plus volatils que prévu.
Il ressort clairement de nos discussions que les régimes revisitent leurs hypothèses en matière de liquidité comme une autre donnée dans leurs décisions sur la composition de l’actif et l’effet de levier. Les analyses de scénarios de diverses conditions de marché peuvent être utiles au processus décisionnel, à condition qu’elles soient liées aux besoins de liquidités. Les institutions devraient se poser et se posent de plus en plus la question suivante : « Hypothétiquement, aurions-nous accès à suffisamment de liquidités ou de titres négociables à court terme pour continuer à faire nos paiements si le marché perdait 10, 20 ou 30 % sur une période de 10 jours ? »
Enfin, en ce qui a trait à la complexité du portefeuille (découlant de l’effet de levier et/ou des dérivés), de nombreux régimes sont revenus à l’approche « moins c’est plus ». Ils posent des questions importantes comme : « Y a-t-il un moyen d’atteindre les expositions du portefeuille souhaitées en réduisant la dépendance aux superpositions de dérivés ? Est-il toujours logique d’investir dans des catégories d’actifs privés plutôt que dans des catégories d’actifs publics, compte tenu des valorisations relatives et du besoin de liquidité du portefeuille ? » Nous croyons que les promoteurs de régimes continueront de se poser des questions comme celles-ci et bien d’autres encore afin de mieux positionner leurs portefeuilles.
Conclusion : Un avertissement inévitable
La crise liée à l’IGP au Royaume-Uni était tout à fait évitable et découlait d’un « objectif propre » à la politique sérieux. Toutefois, elle a permis de mettre en évidence les risques importants auxquels sont exposés les régimes de retraite à prestations déterminées du Royaume-Uni qui adoptent une approche d’IGP à effet de levier. Bien que nous ne voyions pas de crise systémique de ce genre survenir au Canada, les régimes nationaux en ont pris note et ont tiré des leçons précieuses qui devraient servir à accroître la résilience du secteur canadien des régimes à prestations déterminées.
1 La proportion des placements en actions parmi les actifs des fonds à prestations déterminées a diminué, passant d’environ 61 % en 2006 à environ 20 % en 2022, tandis que celle des placements à revenu fixe a augmenté, passant de 28 % à 72 % (source : FMI).
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Liam O’Sullivan, Directeur et co-responsable de la gestion des portefeuilles de clients chez RPIA
Liam O'Sullivan est directeur et co-responsable de la gestion des portefeuilles de clients chez RPIA à Toronto. À ce titre, il dirige le développement commercial, le développement de produits et la gestion des relations pour le canal institutionnel. Avant de rejoindre RPIA en 2009, il était Chief Risk Officer chez Northwest Investment Management au Royaume-Uni. Liam est titulaire d'une maîtrise en politique, philosophie et économie de l'Université d'Oxford et d'une maîtrise en économie de l'Université de Colombie-Britannique. Liam est titulaire du titre de CFA et vice-président du comité exécutif d'AIMA Canada.