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La conception comportementale et l’intelligence artificielle : quatre piliers pour redéfinir l’engagement des participants aux régimes de retraite
Né en 1935 le jour de Noël, Donald Norman a consacré sa vie professionnelle au design, à l’ingénierie de l’utilisabilité et aux sciences cognitives. Il a cherché à définir un monde où les personnes, le travail et la technologie sont interconnectés, ou le plus souvent échouent à l’être – un univers désigné par le terme ingénierie des systèmes cognitifs.
Comme peu d’autres, Norman a façonné la manière dont les consommateurs interagissent avec la technologie. L’une des premières balises qu’il a posées figure dans un article publié en 1981 dans le magazine Datamation et intitulé « La vérité sur Unix : l’interface utilisateur est atroce », qui a fait de lui une vedette de l’industrie informatique. C’est alors que Norman a introduit la conception axée sur l’utilisateur, un terme qu’il a inventé en 1986 dans son livre User Centered System Design: New Perspectives on Human-computer Interaction1. « Les gens ont une si grande capacité d’adaptation qu’ils peuvent supporter le poids de s’adapter à un objet », écrit-il, « mais les concepteurs habiles éliminent une grande partie de ce fardeau en adaptant l’objet aux utilisateurs. »
Il est facile d’oublier à quel point cette idée était radicale à l’époque, c’est-à-dire que les interfaces informatiques pouvaient être conçues en fonction des utilisateurs. Il faudra attendre encore sept ans avant que Norman soit embauché par Apple Computer en tant que concepteur d’expérience utilisateur. Il a été le premier à porter ce titre, qui est aujourd’hui courant.
Conception traditionnelle vs comportementale
La principale différence entre la conception traditionnelle et la conception comportementale est que la première résout des problèmes fonctionnels au moyen d’améliorations esthétiques et d’utilisabilité, tandis que la seconde cherche à influencer le comportement humain. Pour ce faire, elle étudie les utilisateurs, teste les options et affine l’expérience afin d’obtenir des résultats qui servent au mieux les intérêts de l’utilisateur.
Le fait que le secteur canadien des pensions ait recours à la conception comportementale – et au domaine connexe de la finance comportementale, qui nous a appris à ne pas nous fier au point de vue traditionnel selon lequel les gens sont capables de prendre des décisions rationnelles – a permis d’améliorer de manière tangible l’expérience des participants aux régimes et les résultats en matière de retraite au cours des dernières années. Nous avons une véritable dette envers les pionniers comme Norman, et son apport mérite sans doute qu’on l’apprécie davantage qu’il ne l’a été.
Plus récemment, l’application de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle (IA) a fait évoluer les meilleures pratiques en ce qui a trait à l’expérience des participants. Les algorithmes dotés d’une logique, d’un raisonnement et de capacités conversationnelles nous offrent des possibilités encore insoupçonnées il y a quelques années. En même temps, de nombreux administrateurs de régimes ont investi dans la mise à niveau de l’infrastructure existante, la création de stratégies de données et la constitution d’équipes pour tirer profit de l’IA.
Il est encore tôt, mais il y a des raisons d’être optimiste quant à l’avenir de l’expérience des participants aux régimes de retraite. Les connaissances issues de la psychologie, de l’économie comportementale et de la pensée conceptuelle peuvent désormais renforcer l’engagement des participants aux régimes de retraite grâce à l’IA, et ce, de quatre manières importantes.
1. Éveiller l’intérêt
En règle générale, le premier contact d’un participant avec le régime est le processus d’inscription. C’est un peu comme remplir un formulaire de nouveau patient au cabinet du médecin. En guise de première impression, on peut faire mieux!
Le monde est plein de distractions, surtout numériques. TikTok n’est qu’à un clic et nous sommes en concurrence avec cette application pour attirer l’attention des participants. Toutes les expériences vécues par les participants, incluant le processus d’intégration, devraient susciter leur intérêt et leur curiosité. Après tout, ce qu’on leur présente a une grande valeur. L’application d’une approche comportementale à l’expérience des participants consiste à observer comment ils naviguent dans un processus donné et à analyser les données quantitatives et qualitatives sur les étapes qu’ils franchissent (et celles qu’ils choisissent de ne pas franchir).
Cette approche plus détaillée et axée sur les données de la conception de l’expérience nous permet de procéder à des ajustements, puis de tester et de déterminer dans quelle mesure ils sont efficaces pour susciter l’intérêt des participants et les inciter à adopter un comportement qui leur est avantageux.
2. Aider à la décision
Le fardeau de la prise de décision – en particulier dans les régimes à cotisations déterminées – incombe aux participants, dont beaucoup ne comprennent même pas les concepts financiers de base. Ils doivent faire des choix avec lesquels ils ne sont pas à l’aise et qui, à leur tour, produisent des résultats à long terme qu’ils ne peuvent pas prévoir.
L’IA générative combinée à des algorithmes d’optimisation peut simplifier l’expérience des participants, en fonction de leur niveau individuel de littératie financière et de l’étape à laquelle ils se trouvent dans leur parcours de planification de la retraite.
Il peut y avoir différents modèles d’IA conversationnelle pour les phases d’accumulation et de décumul, et pour les personnes ayant différents niveaux de connaissances financières et d’intérêt. Cela peut s’appliquer à toute une série de décisions relatives à la retraite, telles que le rachat de services, le calcul de la valeur de rachat, le transfert d’actifs, etc.
3. Susciter des émotions positives
La conception comportementale est souvent associée à la convivialité. Dans le contexte des régimes de retraite, l’objectif est de permettre aux participants de comprendre le fonctionnement du régime et, s’ils doivent faire des choix, de s’assurer qu’ils disposent des informations nécessaires pour les faire en toute connaissance de cause.
Mais les régimes de retraite ont un double objectif : ils produisent des résultats en matière de retraite et, idéalement, servent d’outil d’attraction et de rétention des talents pour les employeurs. Pour atteindre ces deux objectifs, les interactions avec le régime ne doivent pas être simplement fonctionnelles. Elles doivent déclencher une réponse affirmative de la part du participant, afin qu’il se forge une opinion plus positive de son employeur.
Voilà un bon exemple de la façon dont l’IA générative rend la conception comportementale beaucoup plus efficace. La technologie engage véritablement les participants, à la fois personnellement et de manière réactive. C’est une amélioration considérable par rapport à ce à quoi ils sont habitués.
4. Initiation du comportement et orientation des actions
Les agents conversationnels alimentés par l’IA générative sont capables d’engager une conversation productive avec les participants au régime. Cela permet d’obtenir des informations précieuses sur le point de vue des participants, en précisant leurs attentes, leurs inquiétudes et leurs craintes.
La technologie fournit de la rétroaction rapide sur les comportements, qui peut être utilisée pour affiner les modèles d’IA conversationnelle et ainsi rendre la communication avec les participants plus attrayante. Les administrateurs peuvent donc s’assurer que les participants comprennent et apprécient réellement la valeur des prestations de retraite. Cela permet d’éliminer les obstacles à l’action et d’entreprendre des actions positives.
Les experts en expérience comportementale soulignent une série de principes de changement de comportement, incluant la personnalisation, l’éducation, la rétroaction, la pertinence et l’autonomisation.
Pour chacun de ces points, la conception comportementale alimentée par l’IA permet de développer des expériences de régimes de retraite qui favorisent davantage l’engagement des participants et l’adoption de bonnes habitudes.
Les participants se voient présenter leurs propres données et des informations éducatives pertinentes de la manière la plus efficace, selon l’administrateur. Ils reçoivent de la rétroaction en temps réel qui les aide à prendre des décisions judicieuses et qui leur donne un plus grand sentiment d’autonomie.
De vraies tendances, pas les meilleures intentions
La conception comportementale est une approche intrinsèquement centrée sur l’homme. Plutôt que de se concentrer sur la manière dont les gens devraient se comporter, elle met l’accent sur leurs tendances comportementales réelles. Il s’agit d’une nuance importante, car beaucoup de nos décisions sont guidées par des impulsions inconscientes et des habitudes profondément ancrées.
En 1979, Norman a été invité, avec un groupe d’universitaires, à enquêter sur l’accident nucléaire de Three Mile Island, près de Harrisburg, en Pennsylvanie. Le réacteur de l’unité 2 de la centrale avait subi une fusion partielle à la suite d’une série de défaillances mécaniques, notamment une vanne de décharge pilotée qui s’était bloquée en position ouverte. Dans le langage de l’énergie nucléaire, il s’agit d’un accident lié à une fuite de réfrigérant. Des gaz radioactifs et de l’iode ont été rejetés dans la communauté locale.
Ce que Norman et ses collègues ont appris, c’est que les opérateurs étaient mal préparés à ce scénario et que de nombreux défauts de conception ont exacerbé la crise. L’incident résultait du fait qu’on n’avait pas tenu compte des comportements réels des êtres humains dans un environnement imparfait. C’est une dynamique que nous continuons à observer dans un large éventail de circonstances, même si nous avons fait des progrès constants en conception comportementale.
À bien des égards, l’année 1979 est de l’histoire ancienne. Même ceux d’entre nous qui l’ont vécu de près reconnaissent que nous avons parcouru un long chemin sur plusieurs fronts. Pour les administrateurs de régimes de retraite, les progrès de la conception comportementale et, plus récemment, de l’IA générative s’avèrent prometteurs quant aux résultats en matière de retraite et à l’efficacité de ces régimes en tant qu’outils d’attraction et de fidélisation des talents.
1 Ce livre n’a pas été traduit en français. Son titre se traduirait par Conception de systèmes axés sur l’utilisateur : Nouvelles perspectives sur l’interaction homme-machine.
Leyla Imanirad, cofondatrice et PDG de Pensionbar
Leyla est cofondatrice et PDG de Pensionbar, une société fintech basée à Toronto. La mission de l'entreprise est d'améliorer l'expérience des membres en combinant la technologie, la science des données, la finance comportementale et l'expérience utilisateur. En tant que conseillère technique auprès de différentes entreprises et projets, Leyla sensibilise à l'impact de l'IA sur différents secteurs. Elle est titulaire d'un master en ingénierie informatique de l'Université de Toronto.
Saman Khodai, cofondateur et directeur de Pensionbar
Saman est cofondateur et directeur de Pensionbar et fondateur de Pension Transitions, une société de conseil en matière de retraite. Il croit au pouvoir de la technologie pour simuler et analyser les régimes de retraite à prestations déterminées des entreprises selon différents scénarios. En tant que coach professionnel certifié en matière de retraite, il conseille les particuliers et les entreprises sur le bien-être et la préparation à la retraite. Il est titulaire d'un doctorat en financement des retraites de l'université de Graz, en Autriche.