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Le rasoir d’Occam réduit-il le rendement de vos placements?

Par Marc Williams, CFA, FCIA, FIA, Leith Wheeler et Mike Wallberg, CFA, MJ, Leith Wheeler
novembre 26, 2024

Le rasoir d’Occam est une maxime sur la résolution de problèmes selon laquelle, lorsqu’on examine deux idées concurrentes pour expliquer un phénomène, la plus simple est habituellement la bonne. Au cours des dernières décennies, la complexité des marchés financiers n’a fait qu’augmenter, les combinaisons traditionnelles 60/40 d’actions et d’obligations des marchés publics ayant été délaissées au profit des fonds de couverture, du crédit privé, du capital-investissement, de l’immobilier, etc. Cette complexité a-t-elle porté ses fruits? La maxime du rasoir d’Occam est-elle erronée?

Un parti pris pour l’action

Lorsqu’une crise frappe, les parties prenantes en arrivent souvent, par défaut, à la conclusion qu’il faut se contenter de maintenir le cap; il faut faire quelque chose. Lorsque nous avons discuté avec nos clients pendant la grande crise financière, ils étaient évidemment inquiets pour leurs portefeuilles et beaucoup voulaient savoir quelles actions nous posions. Le fait est qu’ils détenaient des titres liquides de grande qualité et, compte tenu du fait que les tentacules du risque pouvaient apparaître dans des zones surprenantes du système bancaire, la prudence ne consistait pas à complexifier davantage la situation en lançant une série d’opérations, mais à maintenir le cap. Cela semblait une mauvaise idée à l’époque, mais qui s’est avérée la bonne chose à faire. 

En tant que gestionnaires de fonds (et êtres humains), nous ne sommes pas à l’abri de cette impulsion à agir, mais lorsque nous avons fait un bon travail préalable pour comprendre le risque, évaluer la qualité et diversifier les placements, l’attitude « paniquez maintenant, réfléchissez plus tard » peut avoir un effet incroyablement destructeur sur la valeur.

Le même penchant pour l’action peut se manifester lors des rencontres avec les fiduciaires de placements lorsque les performances récentes d’un gestionnaire de fonds font passer les chiffres à long terme sous les indices de référence. On peut avoir l’impulsion de faire un changement, mais la plupart du temps, la ligne de conduite prudente consiste à comprendre les causes de la sous-performance récente et à garder le cap. 

La patience des investisseurs axés sur la valeur a été récompensée lorsque les taux d’intérêt ont bondi en 2022 et que les marchés se sont rendu compte que l’un des principaux facteurs qui expliquent les excellents rendements boursiers depuis plus de 10 ans a été la valorisation des flux de trésorerie plutôt que les compétences des gestionnaires. Cela incluait les actions de croissance en général (qui sont plus durement touchées par les hausses de taux), les placements immobiliers et, sans doute, les stratégies à faible volatilité, dont l’ingénierie intelligente a abouti à la création de fonds d’actions qui étaient en fait des substituts d’obligations et qui ont donc frappé un mur lorsque les taux ont augmenté. 

Cette patience est particulièrement importante lorsque votre gestionnaire de placements vous protège contre les ravages de la mode du moment. De nombreux gestionnaires, dont nous, ont été confrontés à des questions difficiles dans l’engouement de la bulle technologique, car les rendements boursiers ont chuté de plus de 10 % par rapport aux indices de référence, mais ils ont obtenu d’énormes rendements lorsque ces mêmes titres chouchous se sont effondrés.

Aujourd’hui, il faut faire preuve de rigueur, car des milliards de dollars sont investis dans les actions liées à l’intelligence artificielle, des sociétés qui joueront un rôle important dans de nombreux secteurs, mais qui, à notre avis, présentent des valorisations nettement supérieures à la rentabilité qui pourrait être atteinte dans un avenir prévisible. 

L’impatience n’est pas récompensée

L’impulsion d’agir peut également se manifester comme une recherche de rendement dans l’univers des fonds communs de placement. Malheureusement, il est largement démontré que de passer d’un fonds commun de placement à un autre, plutôt que d’acheter et de conserver, coûte cher aux investisseurs. La figure 1 illustre les résultats d’une étude de l’Université George Mason qui a quantifié l’écart de rendement qui est apparu au fil des 10 dernières années. Quel que soit le type de stratégie, la région ou même le type d’investisseur, les investisseurs ont perdu en moyenne entre 1 % et 2 % par année en vendant le « perdant » de l’année précédente et en achetant le titre affichant le rendement le plus élevé du moment. Autrement dit, les moins chanceux seraient 20 % plus pauvres après une décennie que s’ils s’étaient contentés d’acheter et d’oublier.

Figure 1 : Écart de rendement annualisé sur 10 ans pour les investisseurs en fonds communs de placement, par type (perte de rendement par année en points de pourcentage)

Source : Derek Horstmeyer, Université George Mason.

Les chercheurs Goyal et Wahal ont obtenu des résultats semblables pour les investisseurs institutionnels qui avaient remplacé un gestionnaire en raison principalement de son rendement. Ils ont examiné 412 transitions entre 1996 et 2003 et ont constaté qu’en moyenne, les nouveaux gestionnaires, même s’ils ont inscrit des rendements supérieurs, ont inscrit des rendements de 0,8 % inférieurs à ceux qu’ils ont remplacés au cours des trois années suivantes.

L’attrait de la complexité

Pour en revenir à notre maxime du rasoir d’Occam, un autre biais qui peut influencer le comportement des investisseurs est la surévaluation irrationnelle de solutions complexes par rapport à des solutions simples. Les risques pour un comité de placement moins averti sont simples : des structures et des produits de placement complexes ne peuvent être évalués sans une compréhension et la capacité de surveiller et de suivre le risque. Ce risque ne pèse toutefois pas uniquement sur les clients institutionnels : il suffit de se rappeler la confiance aveugle des professionnels des placements qualifiés d’avertis dans la qualité AAA des titres adossés à des créances hypothécaires à risque vers la fin de la deuxième moitié des années 2000. Le manque d’information sur le mode de fonctionnement des titres adossés à des créances hypothécaires à risque (et le manque de diligence raisonnable de la part de leurs bailleurs de fonds et de leurs acheteurs) a créé un risque unique qui ne pouvait être géré efficacement et, au bout du compte, a mené les marchés financiers au bord de la ruine. 

Soyons clairs : toute complexité n’est pas mauvaise, et encore moins toxique. Si les régimes favorisent des catégories d’actif moins traditionnelles, ils doivent le faire d’une manière qui correspond à leurs capacités de gouvernance. En bref, les membres de votre comité d’investissement ont-ils une expérience suffisante des stratégies envisagées? Avez-vous de l’aide professionnelle (consultants, gestionnaires de placement) qui comprend votre organisation et les stratégies envisagées, et qui peut vous communiquer clairement les risques et les occasions qui y sont inhérents?

Dans cet article (en anglais seulement), Mark Higgins, ancien consultant et auteur, dresse un portrait du cycle de vie des nouvelles idées sur les marchés financiers. Il les décrit comme la formation (un besoin légitime survient qui est résolu par un nouveau produit ou une nouvelle approche); la phase précoce (les nouveaux venus capitalisent et réalisent des rendements démesurés dans le nouveau produit ou l’approche) et la phase d’inondation (une avalanche de produits sont créés puis vendus massivement ultérieurement). Il pointe sa lorgnette vers les actifs non traditionnels, en particulier les importants flux de capitaux vers le crédit privé au cours des dernières années, qui lui indiquent que nous sommes actuellement inondés jusqu’aux genoux, mais que nous n’en sommes peut-être pas conscients. 

À notre avis, le risque réside dans le fait que, même si les actifs privés peuvent encore être valides et précieux dans certaines circonstances, les déclencheurs initiaux qui ont motivé cette décision ont en grande partie disparu. Plus précisément, les actifs privés ont aidé à résoudre des tests de solvabilité rigoureux (qui se sont maintenant atténués), en raison des faibles taux d’intérêt (qui sont maintenant plus élevés) et de la volonté d’atténuer la volatilité des marchés (qui est maintenant moins importante). Compte tenu de l’évolution des conditions, les investisseurs résolvent-ils le problème d’hier avec des produits assortis de frais élevés, d’une grande complexité juridique, d’une liquidité et d’une visibilité limitées, ce qui nuit au rééquilibrage du portefeuille, alors que les taux de rendement des obligations publiques et la prime du marché boursier peuvent vous permettre d’atteindre cet objectif sans rien de tout cela?

La complexité dans le collimateur

Même les groupes professionnels les plus compétents et les mieux outillés de notre secteur peuvent parfois faire face à des difficultés. En mai 2024, un article du Globe and Mail a reproché au Régime de pensions du Canada (RPC) de ne pas avoir surpassé un portefeuille indiciel au cours de la période de 18 ans depuis qu’il est passé d’une approche simple et passive à une stratégie de gestion active complexe. Il est facile de lancer des pierres, mais comme pour tout bon placement, cette critique mériterait d’être examinée de près. 

Au cours de l’année écoulée, le marché a connu une forte croissance, son indice de référence ayant inscrit un rendement de 19,9 %. Celui de 8 % du RPC était modeste en comparaison, mais cela fait partie de sa conception. Les simples rendements finaux ne tiennent pas compte du risque du portefeuille, de ses attentes futures et de sa capacité à protéger le capital pendant les années baissières, une caractéristique particulièrement importante d’un régime de retraite national. Si l’on remonte seulement d’un an en arrière, le fonds du RPC était en avance sur ce qu’une simple stratégie indicielle aurait produit, soit 47 milliards de dollars! 

Complexité de l’évaluation et loi de Goodhart

En matière de placement, il est faux de croire que le fait de disposer de plus de données contribue nécessairement à de meilleures décisions. Pensez au temps que vous passez à vider votre boîte de réception : cela vous rend-il toujours plus efficace? Peut-être pas! 

La même idée fausse peut se présenter lorsqu’il s’agit de mesurer le rendement des placements. Un promoteur de régime ou un consultant peut générer plusieurs mesures détaillées du rendement trimestriel du portefeuille par chaque gestionnaire, mais perdre de vue la façon dont tous les portefeuilles s’accumulent. Selon notre expérience, il y a trois catégories d’incidence et la conclusion la suivante : plus vous mesurez finement, moins ces mesures sont susceptibles d’avoir une incidence sur le succès du fonds à long terme. Voir la figure 2. 

Comme Goyal et Wahal l’ont constaté, le suivi des changements de gestionnaires (section du milieu) est une occasion importante d’apprendre si les décisions ont été prises efficacement. Il en va de même pour les changements apportés à l’indice de référence et à la répartition de l’actif, surtout lorsque les nouvelles stratégies sont financées à partir des anciennes. Le risque a-t-il été atténué comme vous le pensiez? Le rendement a-t-il augmenté comme vous l’aviez espéré? L’illiquidité était-elle aussi bonne ou mauvaise que vous le pensiez? Souvent, ces types de décisions ne font pas l’objet d’un suivi officiel, mais peuvent avoir une incidence énorme sur les résultats du portefeuille.

Figure 2 : Le rapport inverse entre le détail des mesures et leur incidence 

Source : Leith Wheeler Conseils en investissements ltée. 

La loi de Goodhart décrit ce phénomène à son extrême, où la mesure devient l’objectif. Imaginez un grand fonds composé de plusieurs groupes cloisonnés (immobilier, actions publiques, capital-investissement, etc.) où chaque groupe a un objectif précis. Les groupes ciblent ensuite leurs propres objectifs, évaluent le risque, établissent la répartition de l’actif, choisissent les styles et comparent les gestionnaires. L’ensemble du fonds a des objectifs précis, les plus importants, mais sans surveillance, la fusion de tous les sous-groupes pourrait faire en sorte qu’ils ne soient pas atteints. Les mesures individuelles deviennent l’objectif. La gestion de portefeuille globale est une solution que certains fonds ont adoptée et qui peut mieux relier les portefeuilles aux objectifs de haut niveau, en utilisant la répartition, mais aussi les facteurs et un processus de répartition dynamique. 

Les investisseurs ne doivent pas rejeter toutes les idées novatrices qui ajoutent de la complexité à leur vie, mais parfois, lorsqu’une idée semble brillante parce qu’elle est difficile à comprendre, pensez à ce que le rasoir d’Occam suggèrerait. 

Marc Williams, CFA, FCIA, FIA

Marc est directeur et gestionnaire de portefeuille, Clients institutionnels chez Leith Wheeler Conseils en investissements ltée. Il est entré au service de la société en octobre 2015 après plus de 20 ans dans le secteur des régimes de pension et des placements institutionnels. Au cours de sa carrière, il a occupé les postes d’actuaire et de consultant en placement au sein d’une grande société multinationale de services-conseils et d’analyste principal en placements au sein d’une société de gestion d’actifs non traditionnels. Il comptait alors parmi ses clients des caisses de retraite d’entreprises, d’organismes gouvernementaux et de syndicats, ainsi que des fonds de dotation et des fonds fiduciaires des Premières Nations. Marc est analyste financier agréé (CFA®) et fellow de l’Institut canadien des actuaires ainsi que de celui du Royaume-Uni.


Mike Wallberg, CFA, MJ 

Mike est directeur et vice-président, Marketing et communications à Leith Wheeler Conseils en investissements ltée. Il est entré au service de la société en 2017, apportant avec lui de l’expérience dans le secteur des placements à titre de banquier d’investissement, d’analyste des actions et de gestionnaire de portefeuille institutionnel, ainsi qu’à titre de journaliste à la CBC. Il est titulaire d’un baccalauréat en finance et d’une maîtrise en journalisme de l’Université de la Colombie-Britannique et détient le titre d’analyste financier agréé (CFA®) et est président sortant de CFA Society Vancouver (2021). Il anime également le balado phare du CFA Institute sur les placements mondiaux, Enterprising Investor, où il interroge les grands esprits du monde entier sur les enjeux et les occasions qui se présentent dans notre secteur.