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Les normes mondiales en matière de développement durable sont avantageuses pour les régimes de retraite canadiens
L’attention que les entreprises portent aux pratiques durables s’est considérablement accrue au cours des dernières années, mais des normes fiables et universellement comparables restent à élaborer. Heureusement, après des décennies de régimes de production de rapports multiples et volontaires, l’activité a été foisonnante dans ce domaine cette année, laissant croire à une harmonisation et à une consolidation mondiales d’ici peu.
Nous croyons que ces changements augurent bien pour les détenteurs d’actifs canadiens présents sur le marché mondial des placements. Comme les avantages d’investir dans des sociétés aux pratiques durables sont de plus en plus connus, le besoin d’une information uniforme et comparable à l’échelle mondiale se fait urgemment sentir. Espérons que les nouvelles normes, sous l’égide d’un seul organisme de réglementation, créeront un langage commun pour les investisseurs souhaitant évaluer l’impact des risques et les possibilités liés aux changements climatiques par rapport aux perspectives d’une société.
Normalisation et consolidation
Avec la publication par l’International Sustainability Standards Board (ISSB), qui fait partie de l’International Financial Reporting Standards (IFRS), de ses normes inaugurales – appelées IFRS S1 Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité et IFRS S2 Informations à fournir en lien avec les changements climatiques (IFRS S1 et S2, respectivement) – en juin de cette année, s’est ouverte une nouvelle ère d’information financière sur la durabilité par les émetteurs sur les marchés financiers du monde entier.
Les normes ont été rapidement adoptées par l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), qui a demandé aux organismes de réglementation de partout dans le monde de les rendre obligatoires, créant ainsi une base mondiale d’informations sur la durabilité, semblable aux normes d’information financière.
Plus récemment, le Conseil de stabilité financière (CSF), qui a longtemps été préoccupé par la nature systémique des risques liés aux changements climatiques, a demandé à ce que l’ISSB assure la gérance des recommandations d’informations formulées par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC) en 2015. Ces recommandations ont déjà gagné en popularité auprès des émetteurs mondiaux, et sont considérablement prises en compte dans la norme IFRS S2, Informations à fournir en lien avec les changements climatiques. Cela devrait accélérer l’application des normes S1 et S2 tandis que les émetteurs adopteront les nouvelles normes en tirant parti de leur expérience avec celles du GIFCC.
L’autre aspect clé des normes S1 et S2 sont les Sustainability Accounting Standards Board (SASB) Standards. Le cadre du SASB a été établi en 2011 en vue d’élaborer des normes d’information sectorielles mettant l’accent sur les besoins des investisseurs. L’organisme a fusionné avec l’IFRS Foundation en 2022, ce qui constituait un premier jalon vers la consolidation de normes volontaires. Cette approche sectorielle a été intégrée aux normes S1 et S2, parce que les risques et possibilités liés aux changements climatiques ne sont pas tous les mêmes pour tous les secteurs.
Que signifient les normes pour les détenteurs d’actifs canadiens?
Les normes IFRS S1 et S2 sont conçues pour être appliquées conjointement, mais servent des objectifs distincts. La norme IFRS 1 fournit le cadre global auquel les sociétés devraient se référer, et met l’accent sur la gouvernance, la stratégie, la gestion des risques, les indicateurs et les cibles. En revanche, la norme IFRS S2 a été élaborée pour couvrir précisément l’information liée aux changements climatiques, dont les risques physiques et de transition, ainsi que les possibilités offertes. Utilisées conjointement, les normes créeront une base universelle pour la publication d’informations par les sociétés, ce qui en facilitera l’utilisation par les investisseurs, les analystes et d’autres acteurs des marchés financiers souhaitant évaluer les répercussions financières des changements climatiques sur les sociétés. Les données produites permettront aux analystes de répondre à des questions cruciales, dont :
- Est-ce que les divers éléments des risques liés aux changements climatiques sont reflétés dans le risque de crédit de la société?
- Quel est l’impact des risques physiques liés aux changements climatiques sur les flux de trésorerie disponibles durables d’une société?
- Est-ce que les dépenses en immobilisations affectées aux risques liés aux changements climatiques sont alignées sur le plan de transition vers une économie à faibles émissions de carbone et le profil de risque général de la société?
- Est-ce que le conseil d’administration surveille adéquatement les risques liés aux changements climatiques?
- Existe-t-il des possibilités de nouvelles sources de revenu par la société si elle offrait une solution à faibles émissions de carbone?
L’évolution d’une norme mondiale est avantageuse pour les détenteurs d’actifs canadiens qui ont une exposition mondiale aux émetteurs de tous les secteurs – ainsi qu’en raison de la nature systémique mondiale des risques liés aux changements climatiques. Virtuellement aucune société ne peut échapper à une forme de risque lié aux changements climatiques, qu’il découle de changements aux politiques ou aux marchés en raison de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, ou à l’augmentation des risques physiques de températures extrêmes, de montée du niveau des mers et d’incendies.
Certains détenteurs d’actifs cherchent à aligner leur capital sur des objectifs ou des cibles liés aux changements climatiques ou à d’autres enjeux de durabilité, et la publication d’informations normalisées est une condition préalable pour leur permettre d’y parvenir. Les sociétés devront faire état de leur stratégie à long terme, de la façon dont elles gèrent les risques et les possibilités liés aux changements climatiques, de leurs émissions de gaz à effet de serre et de la façon dont leur conseil d’administration surveille les risques liés aux changements climatiques. L’information sur ces enjeux permettra de déterminer si un émetteur en particulier est aligné sur les objectifs de durabilité d’un investisseur ou lui permet de les atteindre, et s’il gère adéquatement les risques liés aux changements climatiques actuels et futurs.
Parcours vers la divulgation obligatoire
Les nouvelles normes représentent un important pas dans la bonne direction, mais pour qu’elles deviennent la nouvelle base mondiale, les organismes de réglementation de partout dans le monde devront rendre les normes IFRS S1 et S2 obligatoires au sein de leur territoire respectif, comme ils l’ont fait pour les normes IFRS d’information financière.
Les perspectives sont actuellement encourageantes. Singapour devrait considérer des règles d’inscription alignées sur les normes de l’ISSB avant la fin de 2024, et les principales économies, dont le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie, la Corée du Sud et le Brésil, ont annoncé leur intention de rendre les normes ISSB obligatoires à court terme. La Securities and Exchange Commission des États-Unis a mené une consultation publique sur un ensemble d’informations sur les risques financiers liés aux changements climatiques en 2022 et devrait annoncer de nouvelles règles avant la fin de 2023. L’État de la Californie vient d’adopter le Climate Corporate Data Accountability Act, qui oblige les sociétés générant un revenu supérieur à un milliard de dollars de publier une information détaillée sur leurs émissions de gaz à effet de serre – un élément clé des normes IFRS S2.
Et le Canada? Nous croyons que pour assurer la compétitivité des entreprises canadiennes au sein de l’économie mondiale et pour attirer des capitaux internationaux, les différents organismes de réglementation canadiens devraient également adopter ces normes mondiales. Divulguer de l’information dans le respect de ces normes mondiales dénoterait la volonté des émetteurs de toutes tailles au sein de l’économie canadienne – dont les émissions de carbone sont relativement élevées – de se positionner pour réussir la transition vers une économie à faibles émissions ou contre les risques accrus d’inondations et d’incendies. Il y a encore des raisons d’être optimistes. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSFI) a déjà dit qu’il exigera des institutions financières sous régime fédéral de publier de l’information conformément aux normes de l’ISSB. Le ministère des Finances a annoncé en 2021 que toutes les sociétés d’État devraient se plier aux normes ayant précédé celles de l’ISSB, soit celles du GIFCC.
Pour assurer une certaine uniformité à l’échelle du pays, l’organisme de normalisation du secteur financier, Normes d’information financière et de certification Canada (NIFC), a mis sur pied le Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID). Le mandat du CCNID est semblable à celui des conseils canadiens de normalisation du secteur financier établis de longue date, comme le Conseil des normes comptables, qui examine les normes IFRS d’information financière et les adapte au Canada. Les autorités réglementaires canadiennes rendent ensuite leur utilisation obligatoire par les entités qu’elles régissent. Il existe aujourd’hui plus de 220 règlements faisant référence à ces normes d’information financière au Canada.
Le CCNID devrait jouer un rôle semblable, agissant comme un intermédiaire entre l’ISSB, les organismes de réglementation canadiens et d’autres parties prenantes, en établissant et en mettant à jour des normes d’informations sur la durabilité que les entités canadiennes devront respecter. Le CCNID joue également un rôle clé dans l’élaboration de normes d’informations sur la durabilité à l’échelle mondiale, faisant profiter les activités de normalisation de l’expérience canadienne.
Le processus pour déterminer l’application obligatoire prendra du temps, mais dans l’ensemble, il pourrait ressembler à ce qui suit :
Étape 1 – Le CCNID examinera les normes de base mondiales de l’ISSB à instaurer au Canada. Dans le cadre de ce processus, il déterminera si des modifications ou d’autres exigences sont nécessaires pour refléter les priorités et les intérêts du Canada. Cette approche est conforme à la terminologie « de base » et « modulaire » de l’ISSB. Cela inclurait une consultation publique et se solderait par l’instauration de normes CCNID.
Étape 2 – Les organismes de réglementation et les législateurs canadiens détermineront si les normes CCNID doivent être obligatoires et, le cas échéant, dans quel délai. Jusqu’à ce que la décision soit prise, les normes s’appliqueraient sur une base volontaire.
Perspectives internationales
En tant que gestionnaire d’un actif géré de près de 775 milliards de dollars à l’échelle mondiale (au 30 juin 2023), Gestion de placements Manuvie analyse les données sur la durabilité des milliers d’émetteurs dans lesquels elle investit. Nous appuyons les normes S1 et S2 de l’ISSB, qui ont selon nous le potentiel de grandement améliorer la capacité des investisseurs à accéder à des informations de grande qualité, fiables et comparables de la part des émetteurs. La tâche est cependant loin d’être terminée. Des normes sont requises d’urgence pour d’autres enjeux que ceux entourant les changements climatiques, notamment ceux touchant le capital naturel et humain; nous espérons les voir émerger à court terme.
Des normes appliquées de manière volontaire ne sont que la moitié de l’équation – nous aimerions en constater l’adoption uniforme par les sociétés de partout dans le monde. C’est pourquoi nous participons au CCNID au Canada, notre marché, et appuyons l’alignement sur les normes de l’ISSB d’autres marchés mondiaux clés – surtout l’Asie – en tant que membres de l’Investor Advisory Group de l’ISSB. Nous saluons les efforts que l’ISSB a déployés sur l’interopérabilité avec d’autres organismes de normalisation, notamment en Europe avec l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG), où le partenariat facilite la navigation des déclarants entre les différentes normes.
Le capital, comme les risques de durabilité et les possibilités connexes, est mondial et transfrontalier. L’information de grande qualité et opportune sur la durabilité se doit également de l’être, comme l’a proposé l’ISSB dans le cadre de son régime de déclaration mondiale.
Le contenu des présentes reflète les points de vue de l’auteure qui ne sont fournis qu’à titre informatif et sujets à changement sans préavis.
Manuvie, Gestion de placements Manuvie, le M stylisé et Gestion de placements Manuvie & M stylisé sont des marques de commerce de La Compagnie d’Assurance-Vie Manufacturers et sont utilisées par elle, ainsi que par ses sociétés affiliées sous licence.
Alyson Slater, chef des placements durables, Canada, Marchés publics, Gestion de placements Manuvie
Alyson dirige les activités d'investissement durable et les activités environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sur les marchés publics canadiens à Gestion des placements Manuvie, qui sert des clients institutionnels, des particuliers et des retraités sur les marchés mondiaux. Elle s'occupe de l'intégration des facteurs ESG dans toutes les catégories d'actifs, des activités de gestion des placements avec les émetteurs, du développement de nouveaux produits axés sur le développement durable et de l'engagement auprès des clients et des principaux intervenants au Canada et à l'étranger. Alyson apporte plus de 20 ans d'expérience à son rôle, avec une expertise en matière de risques climatiques, de finance durable, de données ESG, de finance inclusive et d'un large éventail d'autres questions de durabilité, acquise en tant que cadre supérieur dans des cabinets de conseil et des organisations internationales de premier plan en Europe et en Asie. Alyson possède des connaissances spécialisées en matière de rapports et de divulgation sur le développement durable grâce à ses dix années passées à la direction de la Global Reporting Initiative (GRI), un organisme international de normalisation en matière de développement durable. Elle est actuellement membre du Conseil canadien des normes de durabilité. Elle est titulaire d'une maîtrise en gestion des ressources et en sciences de l'environnement de l'université de Colombie-Britannique et d'une licence avec mention en géographie et études environnementales de l'université McGill.