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Taux de couverture des régimes de pension agréés et innovations institutionnelles
Les régimes de pension agréés (RPA) permettent aux personnes salariées de jouir d’un revenu de retraite. Malheureusement la proportion de personnes salariées participant à un RPA était de 37% au Canada en 2019, ce qui fait que l’augmentation du taux de couverture est un défi pour la société canadienne. Les RPA permettent aux personnes salariées d’avoir un niveau de vie adéquat et aux gouvernements d’économiser dans les mesures de soutien aux personnes à faible revenu. En cohérence avec des objectifs gouvernementaux en matière de politiques publiques, l’instauration de RPA dans certains milieux de travail peut être encouragée ou organisée par l’État. En comprenant mieux l’instauration du Régime de retraite pour les personnes salariées des centres de la petite enfance et des garderies privées conventionnées du Québec (le RRCPEGQ), il est possible de voir comment un projet similaire peut advenir dans d’autres secteurs d’activité.
Au début des années 2000, le RRCPEGQ a été créé afin de couvrir les éducatrices et éducateurs œuvrant dans le domaine des services de garde à l’enfance. Afin de mieux reconnaître le travail important du personnel des Centres de la petite enfance et des garderies privées en milieu familial, un régime de retraite à prestations déterminées a été créé pour les 23 000 membres du personnel qui y travaillaient à cette époque. Le régime s’appliquait à plus de 1400 milieux de travail. Les éducatrices et éducateurs sont près de 55 000 aujourd’hui à y participer. Le RRCPEGQ allait de pair avec la volonté du gouvernement de créer une politique familiale visant à soutenir les familles. Lors de la création du régime, il avait été discuté de l’incorporation de ces nouveaux participants au régime de retraite de la fonction publique et des réseaux de l’éducation et de la santé du Québec, mais la solution d’un régime original exclusivement pour les centres de la petite enfance et les garderies privées conventionnées du Québec a été préconisée. Les représentants des associations patronales et syndicales ont participé à l’élaboration du RRCPEGQ, de concert avec des fonctionnaires. La plus grande stabilité du réseau, l’amélioration des conditions de travail de travailleurs à faible revenu, la rétention et l’attraction du personnel et l’amélioration des services étaient les arguments mis de l’avant pour créer le régime et améliorer les avantages sociaux.
Les mêmes arguments valent pour d’autres secteurs d’activités. Le regard des politiques publiques se porte vers l’enjeu des prochaines décennies : le vieillissement de la population et les soins à apporter aux personnes aînées. Le nombre de personnes très âgées, soit de 85 ans et plus, a augmenté progressivement au fil du temps pour représenter une part croissante de l’ensemble de la population canadienne. En 2021, la population canadienne comptait environ 871 400 personnes âgées de 85 ans et plus. Dans un avenir prévisible, le vieillissement de la population fera en sorte que le nombre de personnes de 85 ans et plus augmentera rapidement au cours des prochaines décennies, atteignant entre 2,8 millions et 3,6 millions de personnes en 2068 selon les scénarios de projection démographique1. Ces personnes auront besoin de soins pour vieillir dans la dignité.
En plus de l’annonce dans le budget fédéral de 2023 de la mise en place de nouveaux cadres pour les rentes viagères à paiement variable, le gouvernement du Canada a aussi mis de l’avant une proposition en vue « d’élaborer et de mettre à l’essai des solutions novatrices pour renforcer l’épargne-retraite des préposés aux services de soutien à la personne qui n’ont aucune couverture de sécurité de retraite au travail »2 Ainsi, Emploi et Développement social Canada (EDSC) recevra un financement de 50 millions sur 5 ans, soit jusqu’en 2027-2028, pour mener à bien ce projet. Les préposés aux services de soutien à la personne du secteur privé, qui n’ont pas nécessairement de régime de retraite sur leur milieu de travail, sont majoritairement des femmes, et cela dans une proportion de 86 %. Les personnes immigrantes et les minorités visibles y sont aussi surreprésentées3. Là aussi, tout comme pour le RRCPEGQ, l’argument de meilleurs soins, d’une plus grande stabilité de la main d’œuvre et d’un plus grand bassin de préposés aux services de soutien à la personne est invoqué pour justifier l’investissement d’argent public dans l’amélioration des conditions de travail des personnes salariées de ce secteur d’activité.
Plusieurs milieux de travail embauchent des préposés aux services de soutien à domicile, comme le secteur des résidences pour aînés, les entreprises offrant du soutien à domicile ou les résidences de soins de longue durée du secteur privé, que ce soient des organismes à but lucratif ou à but non lucratif. Les préposés aux services de soutien à la personne ne sont pas les seules à être employées dans ces milieux. En effet, ces établissements embauchent du personnel pour la cuisine et le service des repas, les loisirs, l’entretien ménager, l’infirmerie, l’administration ou la maintenance, par exemple. Si des régimes interentreprises pour ce secteur sont préconisés, les mouvements de personnel se feront de manière plus fluide grâce à la portabilité des droits de rentes accumulés. Les travailleurs et travailleuses du secteur public sont souvent déjà couverts par un régime de retraite à prestations déterminées. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de compétition entre le secteur public et le secteur privé pour du personnel, la générosité des régimes de retraite du secteur public est un levier important pour l’amélioration des conditions de travail des personnes salariées du secteur privé.
Plusieurs questions sur ce projet embryonnaire peuvent donc être formulées. Comment EDSC va impliquer les parties prenantes? Quel type de régime sera préconisé? Sera-t-il principalement question de régimes interentreprises ou de régimes à employeurs uniques? Comment évaluer les résultats de cette initiative? Est-ce que les organismes de régulation et de surveillance provinciaux seront impliqués? Est-ce que ce sera une première initiative menant à l’amélioration de la couverture dans d’autres secteurs d’activité par la suite? Comment est-ce que la communauté des compagnies d’assurances et des firmes d’actuaires pourrait se mobiliser afin d’augmenter la couverture des RPA tout en augmentant leur clientèle?
Mettre en évidence la genèse du RRCPEGQ permet de voir le chemin que peut prendre l’instauration de nouveaux régimes couvrant un secteur d’activité particulier et des dizaines de milliers de personnes salariées. De futurs régimes seront implantés dans le secteur des soins à la personne et des services aux aînés grâce à un partenariat entre EDSC et les entreprises du secteur privé de ce secteur d’activité dans les prochaines années. Cela permet aussi d’améliorer le faible taux de couverture des régimes de pension agréé au Canada et d’entrevoir des développements similaires dans d’autres secteurs d’activité.
1 Statistiques Canada. (2022). Projections démographiques pour le Canada (2021 à 2068), les provinces et les territoires (2021 à 2043). Repéré à : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/91-520-x/91-520-x2022001-fra.htm
2 Gouvernement du Canada. (2023). Budget 2023 : un plan canadien. P.67. Repéré à : https://www.budget.canada.ca/2023/pdf/budget-gdql-egdqv-2023-fr.pdf
3 Gouvernement du Canada. (2023). Budget 2023 : un plan canadien. P.330. Repéré à : https://www.budget.canada.ca/2023/pdf/budget-gdql-egdqv-2023-fr.pdf
Riel Michaud-Beaudry, Analyste politique, Observatoire de la retraite
Riel Michaud-Beaudry est professionnel de recherche à l'Observatoire de la retraite, un projet de l'Institut de recherche en économie contemporaine. Il a complété un baccalauréat en sociologie et une maîtrise en affaires publiques à l'Université Laval. En plus d'avoir publié des travaux sur la retraite au Québec et au Canada, il a mené des recherches dans les domaines du développement urbain, de l'économie, des normes sociales et des politiques publiques en matière de participation électorale. Il est aussi l’auteur du livre La retraite en commun. Fondements, enjeux et propositions
À propos de l’Observatoire de la retraite
L’Observatoire de la retraite est une initiative de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), qui s’adresse aux organismes et aux personnes qui veulent mieux comprendre pour agir sur l’institution de la retraite au Québec. L’Observatoire regroupe des partenaires de différents horizons qui ont le souci d’inscrire les débats sur la retraite dans une perspective large, celle des politiques sociales et économiques.